NOS TOTE BAGS SONT-ILS VRAIMENT AUSSI ÉCOLOS QU’ON LE PENSE?

Dans le monde entier, ils remplacent les sacs plastique. Mais sur le plan écolo, pas sûr que le tote bag soit une solution miracle. À moins de le réutiliser très régulièrement.

Vous en récupérez un en visitant un musée, un autre en faisant un don à une association, un troisième à un concert, un quatrième dans une librairie, un cinquième dans un magasin de vêtements et encore un autre en faisant une commande dans une boutique en ligne. Essayez de compter les vôtres, vous dépasserez sans doute facilement la dizaine. Voire la vingtaine. Ou même plus.

Le tote bag – ce sac de toile ou en tissu à double anse souvent imprimé et personnalisé – a envahi notre quotidien. Un marché estimé à 40 et 50 millions de pièces par an en France, indique à BFMTV.com Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT). Également PDG de Tenthorey, une entreprise textile des Vosges, il assure en produire 4 millions par an – dont ceux vendus par la boutique de l’Élysée.

Le marché a explosé en France depuis 2017 et l’interdiction des sacs plastique gratuits à usage unique. « Il y a eu un gros boum à ce moment-là avec une production multipliée par six », poursuit le dirigeant de Tenthorey. « Depuis, le marché a atteint un plateau même s’il est toujours en légère hausse. »

Une « alternative écologique »?

Étymologiquement, le mot « tote bag » vient de l’anglais « to tote » qui signifie « trimbaler ». Il est le descendant du sac de jute allemand prisé par les militants écologistes dans les années 1970, comme le retrace Karambolage, l’émission d’Arte sur la culture franco-allemande. Depuis une quinzaine d’années, il est devenu un indispensable, offert comme goodies ou érigé en véritable accessoire de mode. Même les grands noms du luxe comme Chanel s’y sont mis.

Il est surtout régulièrement présenté comme une option bien plus verte que les sacs plastiques. Tenthorey vante par exemple un « sac-citoyen », présenté sur le site de la marque comme une « véritable alternative écologique » qui s’inscrit dans une « logique de production et de consommation responsable ». Mais la facture énergétique de la plupart des tote bag est en réalité bien lourde.

Selon l’ONU, l’industrie de la mode est responsable à elle seule de 8% à 10% des émissions de dioxyde de carbone, soit plus que les vols internationaux et le transport maritime réunis. Quant à l’empreinte sur l’eau, le textile est le troisième consommateur dans le monde, après la culture de blé et de riz. Sans compter l’utilisation de pesticides et d’engrais – la culture de coton utilise 4% des fertilisants à l’azote et au phosphore dans le monde, pointe l’Ademe dans son mémo La Mode sans dessus-dessous.

« Il faut regarder l’ensemble du cycle de vie du produit », alerte pour BFMTV.com Nolwenn Touboulic, ingénieure en charge des textiles, papier-cartons, bois, et plastiques dans l’eau à l’Ademe. « C’est toute une chaîne dont il faut regarder les impacts. »

Soit de la production des matières premières – 70% des fibres synthétiques viennent du pétrole – à la transformation – qui impose une consommation énergétique – en passant par la fabrication – avec l’utilisation de teintures polluantes – puis le transport et la distribution. Ensuite, l’utilisateur peut être amené à le laver, or le lavage libère des miro-fibres – quelque 20% de la pollution des eaux seraient imputables à la teinture et au traitement des textiles, selon l’Ademe. Et enfin la fin de vie.

« Tout ça pour qu’il finisse au fond d’un placard ou à la poubelle », déplore pour BFMTV.com Marine Foulon, représentante de l’association Zero waste France. Huit textiles sur dix sont en effet jetés et terminent enfouis ou incinérés.

L’autre problème du tote bag, c’est son faible potentiel de recyclage. Seuls 12% des articles de mode vendus en France sont recyclés et moins de 1% des tissus qui composent nos vêtements sont issus du recyclage. « Le tote bag pourrait être une solution si son usage était durable, s’il ne finissait pas jeté et s’il était conçu pour minimiser ses impacts sur l’environnement », poursuit Nolwenn Touboulic, de l’Ademe.

Elle évoque ainsi des modèles non teintés, fabriqués en France avec matières recyclées ou des chutes de tissus. Mais pour Marine Foulon, de Zero waste France, le recyclage est loin d’une panacée.

« Ce n’est pas la solution miraculeuse. Il faut encore transporter les textiles, parfois pour les emmener à l’étranger car il y a peu de filières, de nouveau utiliser de l’énergie et des produits chimiques pour les transformer. Ça n’a pas de sens. »

Yves Dubief, le PDG de Tenthorey – qui fournit des enseignes de la grande distribution, des collectivités ou encore des institutions culturelles – défend son produit. Son coton est tissé en France et l’impression ou la sérigraphie sont également réalisées en France. Il précise également que 10% de ses sacs sont fabriqués à partir de coton recyclé.

« Sur le coton recyclé, la croissance est de 50% par an sachant qu’on était parti de zéro. Nos sacs ne sont pas à usage unique: les distributeurs les vendent. Ce n’est pas du gaspillage. »

Mais selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) qui a comparé les cycles de vie des sacs destinés à l’emballage des fruits et légumes (sans prendre en compte l’abandon des plastiques dans la nature), il faudrait utiliser un tote bag au moins 40 fois pour qu’il soit plus vertueux que les sacs plastiques. Dans un autre étude, qui prend en compte davantage de facteurs, l’Agence de l’environnement britanniqueévoque un minimum de 173 utilisations.

Une étude plus récente de l’Agence danoise de protection de l’environnement va encore plus loin. En étudiant davantage d’effets, et notamment l’impact sur la couche d’ozone, elle estime ainsi que 7100 réutilisations seraient nécessaires pour compenser le coût environnemental totale du tote bag. Encore plus pour les sacs en coton biologique: 20.000 réutilisations. Cela signifierait utiliser strictement le même sac, tous les jours, pendant près de cinquante-cinq ans.

Pour Marine Foulon, de Zero waste France, si le tote bag peut en effet représenter une alternative au sac plastique, ce n’est qu’à la condition qu’il soit utilisé et réutilisé régulièrement. Et de n’en posséder qu’un ou deux.

« Le problème, comme beaucoup d’autres alternatives aux produits à usage unique à l’exemple de la gourde, c’est qu’ils se multiplient », pointe-t-elle pour BFMTV.com. « On en a de toutes les formes, de toutes les couleurs. Or, remplacer un produit à usage unique par un produit qui n’est utilisé qu’une ou deux fois, c’est loin d’être écologique. »

Céline Hussonnois-Alaya, Journaliste BFMTV